Un groupe exceptionnel !

photo 01 L'équipe de France de Foot FauteuilL’équipe de France de Foot Fauteuil – Kissimmee, États-Unis – juillet 2017.
source : Fédération Française Handisport

Bonjour Bernard
Bonjour Julien, très heureux de ce retour en France, et de te rencontrer à nouveau pour un  interview.  Je te remercie beaucoup de m’avoir appelé tout de suite…
Et quelle interview… interviewer un Champion du Monde, c’est vraiment énorme…

Qu’est qui a changé par rapport à la Coupe du Monde 2007 et à celle de 2011 ?
En 2007, on était déjà en finale contre ces mêmes américains, on avait perdu au penalty, alors qu’on méritait de gagner… En 2011, on est un peu passé au travers. On a eu plein de soucis lors la préparation, ça n’a pas mis forcement l’équipe en confiance. On a quand même pas fait une mauvaise coupe du monde, puisqu’on est allé jusqu’en demi-finale, les américains étaient à ce moment là plus forts que nous…
Ce qui a surtout changé, et pour la première fois, tout le monde a exactement le même matériel. Auparavant il y avait une grosse différence entre certaines équipes, certains joueurs avaient des fauteuils plus puissants, et ça se ressentait sur les matchs. Hors pour cette Coupe du Monde, toutes les équipes sont sur le même pied d’égalité, donc c’est réellement la philosophie du jeu et la préparation qui font la différence. Sans parler de revanche, les américains ont gagné par 2 fois cette Coupe du Monde, c’était vraiment une belle opportunité d’aller la chercher chez eux.
Depuis l’Euro 2014 en Irlande, on savait qu’on avait un groupe exceptionnel. Malheureusement il y a eu le décès de Pika (Jérôme Durand), on devait cherché un joueur pour le remplacer. Je savais depuis longtemps ce qui nous faisait défaut : on est très solide défensivement, mais il nous manquait plus de punch en attaque, avec un joueur capable transformer les occasions en but. On a réussi à trouver ce joueur, Tristan le Beller qui joue à Kerpape. Il évolue au poste de défenseur dans son club et on lui a demandé de se transformer en attaquant. Il a rempli ce rôle à merveille et inscrit 14 buts en Coupe du Monde ! C’est un excellent joueur avec une super mentalité, il n’a que 17 ans et encore plein de progrès à faire. A ses cotés, Momo (Mohamed Ghelami) le stratège. Ce  joueur a tout gagné cette saison avec son club de Auch : la Ligue des Champions, le Championnat de France, la Coupe de France, il est aussi Champion d’Europe des Nations (2014) et maintenant Champion du Monde. En défense, Bryan Weiss, un joueur exceptionnel, et dans les buts, Sylvain Malard le meilleur gardien du monde…  On a fait une préparation très sérieuse, malgré des matchs amicaux qu’on aurait aimé plus relevés, on était largement au-dessus. Tous ces matchs préparatoires ont permis à l’équipe de trouver des automatismes, de se souder, de connaître ses forces et ses faiblesses et de jouer la dessus.

2017 FIPFA World Cup. Photos Copyright 2017 Scot Goodman.

« Momo le stratège… et meilleur buteur de la compétition. »source : Scot Goodman
photo 03 Tristan le beller « Tristan le Beller : un excellent joueur avec une super mentalité. »
source : Fédération Française Handisport

 

Là où l’équipe de France a été très forte, c’est dans la gestion de l’événement… J’ai vu la finale, même en étant menée 2 à 1 elle est restée sereine, elle ne pouvait pas perdre cette Coupe du Monde… Comment avez-vous préparé cette finale ?
On a eu une poule beaucoup plus compliquée que les américains. Il était très important de bien démarrer notre premier match contre le Canada qui nous avait posé des problèmes en 2011, on ne connaissait pas trop cette équipe du Canada. On a facilement gagné ce match 11 à 0 ce qui nous a permis de bien roder les mouvements et les actions de jeux.
Ensuite on a rencontré l’Irlande qu’on avait déjà battue au Championnat d’Europe des Nations en 2014 chez eux. On gagne assez facilement ce match, nous avons fait tourner l’équipe pour que tout le monde se sente concerné jusqu’aux matchs à élimination directe.
Puis on a joué les anglais, la grosse équipe de notre poule. La première place est soit pour eux ou soit pour nous. On les avait battus 2 fois au Championnat d’Europe en Irlande, en poule et en finale, on savait qu’ils auraient un esprit de revanche. Ce qu’on voulait c’était absolument finir premier de notre groupe, de ce fait on les envoyait contre les américains, et on avait une demi-finale un peu plus tranquille. Les anglais nous ont rendu la vie dure : 0 à 0 à la mi-temps, puis on mène 2 à 0, ils reviennent à 2 à 1, les 3 dernières minutes ont été compliquées, il a fallu tenir.
En quart on retrouve les australiens qu’on avait joués en match de poule, on avait gagné 4 à 0. Ils ont  aligné des joueurs très très costauds physiquement, qui n’étaient pas là pour jouer mais pour nous empêcher de leur mettre un carton…  En demi-finale par contre ils ont mis leur équipe titulaire sur le terrain, qui joue plus au ballon. En fait ça nous a mieux servi puisqu’on a gagné 7 à 0. En face d’une équipe qui cherche à jouer, dès qu’on nous laisse des espaces et dès qu’on peut jouer à la balle, on joue très très vite à une touche de balle très souvent, ça fait très mal tout de suite.

Et puis la finale ! On a vu les américains jouer en poule et on a assisté à la première mi-temps de la demi-finale États-Unis/ Angleterre. Les anglais ont posé de gros problèmes aux américains, et franchement ils ne nous ont pas impressionnés. Déjà lors du match d’ouverture, États-Unis/Danemark, on s’est demandé s’ils ne nous cachaient pas quelque chose, est-ce qu’ils le jouent tranquille pour nous attendre ? De notre côté, on a réussi à cacher aussi notre triplette qu’on comptait aligner en cas de finale. On les a fait jouer très peu ensemble tout au long du tournoi, juste par intermittence, pour qu’ils se rôdent, et un peu plus à partir des quarts et des demis pour que la machine commence à se mettre en route. On savait que cette triplette là, ferait mal à n’importe quelle équipe, donc on était vraiment très serein avant cette finale.
On a vu une équipe américaine assez lente, beaucoup moins rapide que nous, mais toujours aussi dangereuse sur les coups de pied arrêtés, les touches et les corners. C’est une équipe qui ne joue pas au football, mais qui essaie de gagner du terrain en cherchant des touches très haut près du but adverse, ils savent que là, ils sont dangereux. Le deuxième but qu’ils nous mettent vient d’une touche, mais dans le jeu ils nous ont inquiétés à 2 ou 3 reprises. On est persuadé qu’en jouant notre jeu on allait les bousculer. Ils mènent 2 à 1 et on égalise juste avant la mi-temps. Le discours au joueur est clair : « au vu de la première mi-temps vous êtes largement supérieurs. Cette finale ne peut pas nous échapper, c’est impossible, on va les battre… »  On est vraiment confiant. On s’aperçoit que les américains paniquent et ils n’arrivent pas à se trouver sur le terrain, on leur met le doute. Ils pensaient que le danger allait venir que de Momo, Archer a fait un marquage individuel en début de match.  Finalement, il comprend que le danger vient aussi d’ailleurs, il ne sait plus trop qui il doit marquer, qui il doit aller chercher, comment défendre… Les américains sont pris de vitesse, on le voit bien sur le but d’égalisation qui est magnifique, 4 passes et il y a but. Et le troisième but, le coup franc magique de Bryan, un coup franc direct…
Archer touche la balle…
Au premier poteau il y a Momo, Archer ne sait pas si Bryan va la jouer direct ou sur Momo, il bouge vers Momo, vers son gardien, et vice versa…  finalement Bryan décide de frapper très fort, quand  Archer s’aperçoit de cela c’est trop tard, il la touche mais la balle est dedans, elle a franchi la ligne et le but a été attribué à Bryan. Le 4 ème but, un penalty logique, il reste 3 ou 4 minutes à jouer. Bryan souhaite le tirer, je refuse, c’est Momo qui va le tirer, il a un sang froid impressionnant. A ce moment du match si la balle est au fond, je sais que c’est mort pour les américains, en plus Momo concourt pour le classement du meilleur buteur de la Coupe du Monde…  et tout c’est bien déroulé jusqu’au coup de sifflet final…

photo 04 Bryan Weiss Bryan Weiss défend le camp français, face au meneur de jeu américain Michael Archer…
source : Fédération Française Handisport

photo 05 Sylvain Malard  « Sylvain Malard le meilleur gardien du monde… »
source : Fédération Française Handisport

J’ai trouvé Archer vieillissant, ce n’était pas le Archer de la coupe du monde de 2011…
Je pense que c’était le même Archer, c’est surtout l’équipe américaine qui a changé, parce qu’on focalise toujours sur lui. Les États-Unis ont de très bon joueurs, Johnson et Dickey sont très forts, par contre leur gardien est le point faible de l’équipe. Nous avons visionné des vidéos de leur championnat, on a senti cette fébrilité au niveau de leur gardien. Archer devait le savoir, donc peut être qu’il est moins monté…
Mais le truc qui les a fait éclater, en deuxième mi-temps on a demandé aux joueurs de les attaquer plus haut, dès la ligne du centre, on a bien vu qu’ils n’aimaient pas ça. Le coach américain a commencé à faire des changements. On nous avait dit qu’il y avait un super joueur qui était sur le banc, et qui n’avait quasiment pas joué en poule. Peut-être qu’il nous le réservait ? En fait, il est rentré 5 minutes, le coach a vu que rien ne changeait, il l’a fait ressortir. Il a mis Dickey dans le but pour essayer d’attaquer à 4, ça n’a pas changé non plus…  Quand il fait son dernier changement, c’est la seule fois que nos regards se sont croisés, j’ai vu dans ses yeux qu’il sait que c’est mort, je le sens… il a perdu de son arrogance, il sait que c’est fini.

Jouer à domicile est-ce un désavantage ? Cela ne rajoute t-il pas une pression supplémentaire ?
Ce n’est forcement un avantage de jouer chez soi, mais franchement cette année la Coupe du Monde aurait été jouée n’importe où,  je pense qu’on la gagnait de toute façon. On a l’équipe la plus forte du monde, ce n’est pas un hasard si on est Champion du Monde. L’équipe se connaît bien et a du plaisir à jouer ensemble, une notion sur la-quelle on a toujours insisté.
Avant la finale au lieu de rester dans le vestiaire, on a regardé le match de la troisième place ça nous a évité de trop cogiter, on a fait un peu de relaxation aussi. On a mis dans le vestiaire, à la vue de tous, deux phrases, dont une de Mark Twain : «Ils savaient que c’était impossible, alors ils l’ont fait »… Le coach américain a été très peu bavard, jamais un petit mot pourtant on s’est croisé 25 fois pendant le tournoi. A la fin du match il vient me serrer la main et me dit : « Vous faites vraiment le plus beau jeu du monde… ».
On a retourné tout le public. Le public pro-américain avant les demi-finales est devenu pro-français avant la finale. Il n’y avait que les américains qui supportaient les américains… Les argentins, les uruguayens et même les anglais, il faut quand même le souligner, se sont mis à nous supporter, après leur défaite un peu houleuse contre les américains en demi-finale.« On a retourné tout le public. »
source : Fédération Française Handisport

Au coup de sifflet final, a quoi as-tu pensé ?
A ces dix ans de travail récompensé, pour moi, pour tout le staff… Et puis j’ai eu une pensée aussi pour Pika, qui nous a quittés après l’Euro 2014 et qui a travaillé pendant 7 ans au États-Unis, et a développé le foot fauteuil là-bas. Je me suis dit que s’il peut voir qu’on a battu les américains chez eux, je pense que c’est le plus beau cadeau qu’on pouvait lui faire. Pour ma famille aussi évidemment, ça a été aussi beaucoup d’investissement de sa part, pendant tous les temps où j’étais absent de la maison pour préparer les différents stages, les compétitions, pour faire mes sélections…  

photo 07 Momo et Bernardsource : Fédération Française Handisport

photo 08 le coup de siffet final... Le coup de sifflet final libère une immense joie dans le camp français…
source : Fédération Française Handisport

J’ai senti Sylvain Malard très soulagé après cette finale gagnée ?
C’est sûr il était très très heureux, il l’était déjà d’être à nouveau en finale, il sentait lui aussi, je pense, qu’on avait vraiment le groupe pour aller au bout. Il ne faut pas oublier qu’en 2007 au Japon c’est lui qui rate le penalty qui nous fait perdre la finale, et en 2001 on est éliminé en demi finale… C’est le seul joueur français à avoir joué 3 Coupes du Monde.

Ce qui m’a fait plaisir sur cette Coupe du Monde, c’est que vous avez vraiment imposé votre façon de jouer. Je me rappelle à Paris en 2011, je t’avais interviewé après la demi-finale et tu m’avais dit : « l’important c’est de gagner, quitte à jouer moins bien,… ». Vous avez réussi à allier le beau jeu et ramener la coupe,  ça c ‘est fort !
On a essayé de rester dans notre état d’esprit qu’on avait depuis ce Championnat d’Europe à Limerick en Irlande, on a gardé notre style bien à nous, on savait que c’est comme cela que ça passerait. La finale contre les américains c’est pareil, en deuxième mi temps on les a pris un peu plus au marquage, un peu plus haut. La consigne pour les joueurs c’était que dès qu’on récupérait la balle, c’était tout de suite explosivité, rapidité, tout à une touche de balle et on savait que ce serait compliqué pour les américains de suivre le rythme.

photo 09 coupe du monde«Ils savaient que c’était impossible, alors ils l’ont fait »
source : Fédération Française Handisport

Cette victoire aura-t-elle un impact pour le développement du foot-fauteuil en France ?
Les choses retombent très vite en France. Il y avait des messages qui arrivaient de partout, des encouragements et des commentaires a n’en plus finir, on a eu des 25 000 vues sur des matchs de l’équipe de France, c’est énorme… A notre arrivée en France, nous avons été accueillis à la Fédération Française Handisport par Laura Flesselle, la ministre des sports. Le lendemain, on a eu le droit à une petite interview chez Bourdin (RMC) et puis quelques petits reportages sur M6 et sur l’équipe TV…  Alors est-ce qu’on aura des retombées par la suite, je ne sais pas du tout… Je pense qu’a un moment donné ça va tomber dans les oubliettes.
Ce qui est important pour moi, et là où je suis heureux, c’est que cette Coupe du Monde récompense l’ensemble du foot fauteuil français, tous les éducateurs dans les clubs, les entraîneurs, les joueurs. S’il y a une équipe de France, c’est parce qu’il y a du travail en amont. Notre équipe sur le terrain pour la finale c’est 17 ans, 22 ans, 24 ans, on voit bien que la formation des jeunes paye.  Mon successeur aura du travail pour aller chercher des jeunes qui vont se révéler sur les différents  championnats qui auront lieu les prochaines saisons. Il y aura à nouveau le Championnat d’Europe en 2019 normalement en Finlande, et la prochaine Coupe du Monde en 2021…

Connais tu le nom de ton successeur ?  
C’est la question piège, non … Avec Ricardo on a soumis une idée au nouveau directeur sportif, Farid Roudjouali, ancien joueur de foot fauteuil, qui a joué à Vaucresson, Nanterre, Marseille, et qui a créé une équipe à Grenoble. J’aimerais bien que ça se fasse dans la continuité, mais il pourra faire ce qu’il veut, c’est à lui de reconstituer son équipe de travail. Mais pour moi, d’ores et déjà c’est terminé, c’est sûr et certain, quoi qu’on me propose !photo 10 Bernard « Après 10 ans de travail, mission accomplie : ramener la Coupe du Monde en France  en battant les américains chez eux de la plus belle des manières… »
source : Fédération Française Handisport

Merci Bernard, vous nous avez fait rêver !
Nous avons apprécié, nous aussi les coachs, le beau jeu de cette  équipe de France, mais de l’intérieur on ne voit pas les choses de la même façon.  On a revu le match avec un peu de recul, on s’est dit qu’on avait vraiment bien joué.  On a fait des gros matchs  avec  sérieux à chaque fois c’est ça qui est important, on ne s’est jamais éloigné de l’objectif final qui était de gagner la Coupe du Monde,
je veux insister sur le fait que ce groupe était exceptionnel et je voudrais rendre un hommage aussi à tous les accompagnateurs des joueurs qui ont été formidables dans la préparation, leur travail a été hyper important, tout le monde a vraiment joué le jeu. Ce groupe de 24, accompagnateurs, staff et joueurs compris ont fait leur boulot, et j’ai pu me consacrer uniquement au terrain et au jeu, c’était phénoménal…  
Merci Bernard et à bientôt…      

photo 11 KervignacFranck Croullière (Directeur Sportif), Bernard Berthouloux et Tristan Le Beller  présentent la Coupe du Monde à Kervignac (octobre 2017).

Interview réalisé par Julien P.
mise en page par Thierry G.
  juillet 2017

 

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